
Par Eric Hightower – FiableActus
Le 7 décembre 2025, le Bénin a connu l’une de ses secousses politiques les plus graves depuis plusieurs décennies : une tentative de putsch militaire menée par un groupe de soldats dirigé par le lieutenant-colonel Pascal Tigri a brièvement annoncé la dissolution du gouvernement et le renversement du président Patrice Talon depuis la télévision publique à Cotonou. En quelques heures, l’armée loyaliste, épaulée par des forces régionales — notamment la CEDEAO, la Nigerian Air Force et un soutien logistique partagé par la France — a rétabli l’ordre constitutionnel, capturant plusieurs mutins et dispersant leurs positions. Cet événement intervient à quelques mois de l’élection présidentielle prévue le 12 avril 2026, dans un climat politique déjà tendu par des réformes constitutionnelles récentes éloignant le pays d’un modèle démocratique perçu comme stable. (Wikipédia)
Un mandat d’arrêt international après le chaos
Le 12 décembre 2025, la justice béninoise a franchi une nouvelle étape judiciaire en émettant un mandat d’arrêt international contre Kémi Séba, figure très médiatisée et opposant politique actif sur les réseaux sociaux. Les autorités l’accusent notamment d’« apologie de crimes contre la sûreté de l’État », d’incitation à la violence et d’incitation à la rébellion, après qu’il eut publié une vidéo qualifiant la tentative de putsch de « jour de libération » et désigné les soldats insurgés comme « dignes et patriotes ». (africaradio.com)
Ce mandat dépasse le cadre national : il engage le Bénin à solliciter la coopération des autorités étrangères pour localiser et arrêter Séba s’il se trouve hors du territoire, une démarche rare qui signale l’intensité de la réaction de l’État à une crise interne. (Koaci)
Parallèlement, des mandats internationaux ont aussi été émis contre Sabi Sira Korogoné, un autre acteur politique, et l’ancien ministre Candide Azannaï a été interpellé dans le cadre des enquêtes entourant le putsch avorté. (Kaweru Infos)
Ce que disent les faits sans polarisation
Ce qu’on sait avec certitude :
- Une tentative de coup d’État a eu lieu et a été déjouée par l’appareil étatique et militaire béninois avec soutien extérieur. (Wikipédia)
- Le gouvernement béninois a pris des mesures judiciaires strictes contre plusieurs acteurs, dont un mandat international contre Séba et d’autres opposants politiques. (Kaweru Infos)
- La situation électorale de 2026 s’inscrit dans un contexte de fortes tensions politiques où plusieurs personnalités cherchent à peser dans un scrutin serré et déjà contesté. (Wikipédia)
Il n’existe, à ce stade, aucune preuve établie publiquement qu’un seul de ces individus ait participé matériellement au putsch ou qu’un procès ait déjà déterminé leur implication directe dans la violence du 7 décembre. Les poursuites sont basées, selon la justice béninoise, sur leurs prises de position publiques et leurs encouragements dans un moment d’extrême crise. (africaradio.com)
Pourquoi cette affaire est sensible
Dans les démocraties contemporaines, la liberté d’expression est un pilier, mais elle se heurte parfois aux cadres légaux qui interdisent l’incitation à la haine ou à la rébellion. Dans un État confronté à une attaque ouverte contre ses institutions, les autorités ont souvent des marges de manœuvre larges pour interpréter ces limites. Cette tension entre liberté d’expression et sécurité de l’État n’est pas propre au Bénin : on l’a vue en Turquie après des tentatives de putsch, où les autorités ont engagé des poursuites similaires envers des figures perçues comme ayant encouragé ou célébré des mouvements subversifs, même si ces figures n’ont pas matériellement pris les armes. (Reuters)
L’arrestation et les mandats d’arrêt contre des figures politiques et médiatiques ne peuvent donc être lus isolément : ils s’inscrivent dans une réaction étatique à une crise existentiale, où l’on considère que chaque encouragement à la rupture de l’ordre constitutionnel est une menace potentielle à la cohésion nationale.
Réactions et climat social
Les réactions à ces mandats sont mixtes :
- Des Béninois, notamment des jeunes, ont organisé des rassemblements à Cotonou pour défendre la démocratie et exiger le respect de l’ordre constitutionnel, scandant leur attachement à la stabilité et au processus électoral pacifique. (Latest Breaking News – News Central TV)
- D’autres observateurs, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, soulignent que dans des périodes de crise, l’utilisation du droit pénal à l’encontre de la parole politique est toujours délicate et doit être maniée avec précaution pour éviter l’impression d’une justice instrumentalisée.
Il est important de dissocier célébration ou soutien moral à un putsch — qui peut être interprété comme dangereux pour la sécurité — et légitimité de la contestation politique : ces zones grises sont précisément celles qui rendent ce débat si épineux.
Ce que cela signifie pour le Bénin aujourd’hui
Ce qui est en jeu n’est pas la condamnation des idées ou des critiques politiques en tant que telles, mais la défense d’un cadre institutionnel face à une menace réelle d’effondrement démocratique. Un État qui fait face à une tentative de prise de pouvoir par la force est, par nécessité, porté à utiliser tous les outils juridiques disponibles pour dissuader des messages qui, s’ils sont perçus comme encourageant la subversion, pourraient alimenter l’instabilité.
Mais cela place également le Bénin devant un choix délicat : comment concilier sécurité de l’État et respect des libertés publiques dans un moment où les lignes entre opinion radicale et encouragement à l’insurrection peuvent se chevaucher sans que l’on dispose de certitudes factuelles complètes.
À retenir
La crise béninoise post-putsch met en évidence la tension profonde entre sécurité étatique et liberté d’expression politique. Le mandat d’arrêt international contre Kémi Séba s’inscrit dans une réaction judiciaire vigoureuse à une situation exceptionnelle, mais il soulève aussi des questions sur l’usage du droit pénal face à des positions exprimées dans un moment d’extrême crise. Entre maintien de l’ordre constitutionnel et respect des espaces de débat politique, le Bénin, comme d’autres démocraties confrontées à des défis semblables, se trouve à un carrefour délicat alors qu’il s’approche de l’élection présidentielle de 2026.
Eric Hightower
Chroniqueur & Analyste géopolitique – FiableActus