L’Occident traverse aujourd’hui deux crises distinctes : aux États-Unis, la peur s’installe comme moteur politique, tandis qu’en Europe, l’union et la coopération sont perçues comme une menace par certains. Deux trajectoires opposées révèlent des sociétés face à des choix historiques : céder à l’autoritarisme ou accepter la lenteur de la construction démocratique.

Deux Occidents, deux crises
Les systèmes politiques ne meurent pas toujours dans le fracas. Certains pourrissent lentement, à ciel ouvert, sous les applaudissements de ceux qui refusent de voir. L’Occident vit aujourd’hui une crise de croissance brutale, mais profondément asymétrique. D’un côté, une puissance qui transforme la peur en carburant politique. De l’autre, une construction collective attaquée précisément parce qu’elle n’est pas encore achevée. Deux Occidents. Deux trajectoires. Deux choix historiques.
Les États-Unis et la peur comme moteur politique
Aux États-Unis, la crise n’est plus seulement institutionnelle, elle est morale et cognitive. Le mouvement trumpiste n’est pas une anomalie passagère : il est le produit logique d’un système qui a cessé d’exiger de ses dirigeants autre chose que des instincts primaires. Lorsqu’un pays confie son destin à un homme dont le rapport au monde relève de l’impulsivité, du caprice et de la vengeance personnelle, ce n’est pas seulement le président qu’il faut interroger, mais ceux qui l’élisent, l’excusent et le célèbrent.
Un pouvoir exercé comme un jeu d’enfant, fait de réactions épidermiques et de décisions incohérentes, ne tombe pas du ciel. Il révèle une société qui préfère la brutalité simple à la complexité du réel, le réflexe à la réflexion, le cri à la pensée. Lorsque l’âge politique d’un dirigeant ressemble à celui d’un enfant de quatre ans, c’est souvent que le corps électoral a lui-même renoncé à l’âge adulte démocratique.
La peur est devenue la colonne vertébrale de ce système. Peur de l’autre, peur du déclassement, peur du monde, peur du futur. Et comme toute peur mal digérée, elle appelle un pouvoir omniprésent, autoritaire et simplificateur. La démocratie demeure dans sa forme, mais son esprit est déjà en retrait. On vote encore, mais on n’ose plus contester. On parle de liberté, mais on exige la soumission. C’est ainsi que naissent les démocratures : non par un coup d’État, mais par abdication collective.
L’Europe face à une crise d’un autre type
L’Europe vit une crise différente. Moins spectaculaire, moins hystérique, mais tout aussi décisive. Sa faiblesse apparente n’est pas celle d’un excès de pouvoir, mais celle d’un pouvoir encore inachevé. Vingt-sept États, des intérêts divergents, des histoires parfois antagonistes, et pourtant une tentative persistante : celle de ne plus être des proies solitaires dans un monde de prédateurs.
C’est précisément pour cela que l’Union européenne est attaquée. Non parce qu’elle serait impuissante, mais parce qu’elle empêche la prédation facile. Des États isolés sont des moutons : on les tond, on les oriente, on les sacrifie. Une union, même bancale, devient une meute. Une meute de béliers est lente et désordonnée parfois, mais infiniment plus difficile à abattre, même pour un grand prédateur isolé. Ceux qui cherchent à faire éclater l’Europe ne défendent pas la souveraineté des peuples, mais leur droit à les dominer un par un.
Cette opposition traverse l’histoire occidentale depuis Rome. Les États-Unis ressemblent de plus en plus à une Rome impériale tardive, obsédée par sa puissance passée, incapable d’imaginer un monde où elle ne dicterait pas seule les règles. Une Rome qui confond autorité et brutalité, sécurité et coercition, leadership et intimidation. Une Rome qui, sentant son influence contestée, choisit la force plutôt que l’intelligence.
Maturité politique et avenir de l’Occident
L’Europe évoque une Rome républicaine inachevée, traversée de conflits internes, lente et frustrante, mais encore méfiante envers l’homme providentiel. Elle hésite, débat, trébuche, mais tente encore de construire sans sombrer dans l’Empire. Sa crise est celle d’un système qui grandit, pas d’un système qui se raidit.
En arrière-plan, demeure l’ombre de la Grèce. Rome a conquis la Grèce par les armes, mais la Grèce a conquis Rome par la pensée. Un Occident qui renonce à la raison et à la complexité au profit du réflexe autoritaire ne fait pas preuve de force, mais de peur.
Le véritable clivage occidental n’oppose donc pas les nations, mais les maturités politiques. D’un côté, ceux qui choisissent la peur comme mode de gouvernement et élisent des dirigeants à leur image : impulsifs, revanchards, simplistes. De l’autre, ceux qui acceptent la lenteur, la contrainte et la complexité pour ne pas retomber dans la loi du plus fort.
Les crises de croissance révèlent si une société est prête à devenir adulte ou si elle préfère confier son avenir à des comportements infantiles armés de pouvoir. L’histoire est claire : les civilisations ne tombent pas parce qu’elles doutent, mais parce qu’elles cessent de penser.
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