
Par Eric Hightower – FiableActus
Israël traverse une controverse profonde autour de la liberté de la presse, qui dépasse le simple débat législatif pour toucher à la nature même du débat démocratique dans un État sous pression militaire et politique depuis plus de deux ans. Plusieurs projets de loi présentés par la coalition gouvernementale au pouvoir, ainsi que des actions jugées restrictives par les défenseurs des droits fondamentaux, provoquent aujourd’hui une réaction vive de la société civile, des syndicats de journalistes et de nombreuses organisations de liberté d’expression.
Les faits : trois projets de loi qui inquiètent
Dernièrement, la Knesset, le parlement israélien, a débattu de plusieurs textes législatifs qui, s’ils étaient adoptés tels quels, donneraient au gouvernement des pouvoirs plus étendus sur les médias :
- Une réforme de l’audiovisuel public qui créerait une nouvelle autorité de supervision capable de concentrer la gouvernance des médias publics entre les mains de l’exécutif.
- Un projet permettant l’interdiction de chaînes de télévision étrangères jugées nuisibles à la sécurité de l’État, même sans guerre déclarée.
- L’annoncée fermeture de la très écoutée radio militaire Galei Tsahal, également contestée pour ses implications sur la liberté d’expression.
Le ministre des Communications, Shlomo Karhi, défend ces mesures comme des réponses à des enjeux de sécurité nationale et de concurrence dans le paysage médiatique. Selon lui, ces réformes permettraient « plus de liberté pour le public » et une réduction de la bureaucratie.
Critiques : menaces pour l’indépendance journalistique
Les opposants jurent que ces projets, s’ils s’imposent, saperaient l’indépendance des médias, déjà fragilisée dans un contexte de conflit prolongé.
La conseillère juridique du gouvernement elle-même, Gali Baharav-Miara, a publiquement estimé que le texte sur le nouvel organe de régulation « met en danger le principe même de la liberté de la presse ».
Des syndicats de journalistes ont saisi la Cour suprême pour contester ces textes, tandis que des organisations internationales — dont Reporters Sans Frontières — ont qualifié certaines propositions de « coup fatal porté à l’indépendance rédactionnelle ». Le chef de l’opposition Yair Lapid a parlé d’une « prise de contrôle hostile des médias ».
Le contexte : sécurité nationale vs. libertés civiles
Ce débat se déroule dans un climat politique très particulier : Israël est engagé dans une guerre qui a commencé le 7 octobre 2023, suite à des attaques du Hamas, et a vu des cycles de violences prolongées, jusqu’à un cessez-le-feu partiel en 2025.
Depuis le déclenchement du conflit, la pression sur les médias s’est accentuée :
- des propositions visant à bannir des médias étrangers considérés comme une menace potentielle pour la sécurité ont été discutées, voire adoptées en première lecture.
- certains projets visent à faire perdurer ou durcir une loi temporaire (parfois appelée « loi Al-Jazeera » dans les médias) qui donnait déjà au gouvernement le pouvoir de fermer certains médias sans oversight judiciaire direct.
- des articles sont régulièrement soumis à censure militaire, une pratique qui existe depuis longtemps mais qui a atteint des niveaux très élevés ces dernières années, parfois plusieurs milliers d’interventions par an dans la publication d’articles liés à la sécurité.
Cette combinaison de lois en débat et de pratiques de censure renforce la perception, chez une partie de la société civile et des journalistes, d’une glissade vers un encadrement trop étroit de l’espace médiatique.
Réactions dans la société et mobilisation
La société israélienne, historiquement dynamique sur les questions de droits civiques, voit dans ces projets une menace potentielle pour les standards démocratiques qu’elle valorise. Une conférence d’urgence de journalistes, intitulée « Sans médias libres, il n’y a pas de démocratie », a rassemblé des centaines de professionnels qui ont mis en garde contre les « tentatives croissantes du gouvernement de contrôler l’opinion publique ».
Des associations de journalistes, des plateformes indépendantes et des juristes ont exprimé leur inquiétude sur l’effet dissuasif que ces textes pourraient avoir sur l’investigation critique, notamment dans un pays où la presse a historiquement été un pilier des débats publics et des contre-pouvoirs.
Liberté de la presse en Israël : un état paradoxal
Selon des rapports internationaux, Israël demeure globalement classé comme un pays jouissant d’une liberté de presse relative, avec un pluralisme idéologique notable dans la vie quotidienne. Cependant, cette liberté coexiste avec des contraintes légales héritées notamment de la censure militaire appliquée aux sujets liés à la sécurité, et une réalité où les médias s’autocensurent régulièrement pour éviter des sanctions.
Des médias indépendants comme +972 Magazine illustrent à la fois la richesse d’un paysage critique et les pressions extrêmes qu’il subit, avec des milliers d’articles censurés ou interdits par la censure militaire en 2024.
Ce que cela signifie
Ce débat israélien sur la liberté de la presse s’inscrit dans une tension permanente entre la sécurité nationale et les libertés civiles. Dans un pays en situation de conflit prolongé, les gouvernants justifient souvent des mesures restrictives par des impératifs de sécurité. Mais ces justifications entrent en collision avec les normes démocratiques fondamentales que même les défenseurs de sécurité reconnaissent comme essentielles en temps de paix.
À la veille d’une année électorale majeure, ces textes touchent à la capacité des citoyens à être informés librement, à contrôler le pouvoir politique par les médias indépendants et à préserver l’espace démocratique. La lutte autour de ces projets est ainsi plus qu’un débat législatif : elle est un point de bascule possible dans la trajectoire démocratique d’Israël.
À retenir
En Israël, plusieurs projets de loi visant à renforcer le contrôle de l’État sur les médias — réforme de l’audiovisuel public, pouvoir d’interdire des médias étrangers, fermeture envisagée de radios — ont suscité une vive réaction de la société civile et de centaines de journalistes. Ces textes, présentés dans un contexte de guerre et d’élections à venir, soulèvent des préoccupations majeures sur la liberté de la presse et l’équilibre entre sécurité nationale et libertés civiles. Entre censure militaire, débats parlementaires et mobilisations publiques, Israël fait face à une crise d’équilibre démocratique qui pourrait redéfinir son modèle de société.
Eric Hightower
Chroniqueur & Analyste géopolitique – FiableActus