
par Eric Hightower
ABUJA — Dans la nuit du 25 décembre 2025, les États-Unis ont mené, en coordination avec le gouvernement nigérian, des frappes aériennes contre des positions liées à l’État islamique dans le nord-ouest du Nigeria, annonçant une nouvelle phase de coopération stratégique entre Washington et Abuja dans la lutte contre les réseaux djihadistes. Ces opérations, évoquées comme une réponse aux violences contre des communautés chrétiennes, posent toutefois une question plus large : les États-Unis ne seraient-ils pas en train de redessiner leur présence stratégique en Afrique, à l’affût des ressources et des relais d’influence ? (Reuters)
Ce n’est pas la première fois que Washington s’implique militairement sur le continent africain, mais l’opération de Noël se distingue par sa ampleur, sa justification publique et ses implications politiques. Le président Donald Trump a qualifié ces frappes de « cadeau de Noël empoisonné » pour les djihadistes, affirmant que les militants visaient « principalement des chrétiens », une interprétation que les autorités nigérianes nuancent fortement en insistant sur le fait que la violence affecte toutes les communautés religieuses. (Reuters)
Les frappes ont été conduites sur la base d’un partage de renseignements fourni par Abuja, qui a confirmé son accord préalable et son rôle dans la sélection des cibles. Cette coopération sécuritaire ne date pas d’hier : Washington a déjà approuvé des ventes d’armements et des programmes d’assistance à la défense pour renforcer les capacités nigérianes face aux groupes armés depuis plusieurs années. (AP News)
Mais au-delà de l’argument de la lutte contre le terrorisme et de la protection des civils, un élément stratégique majeur reste sous-expliqué dans les discours officiels : le rôle du Nigeria comme acteur pétrolier de premier plan, dans un cadre plus large de compétition mondiale pour le contrôle des ressources.
L’Afrique subsaharienne, vaste et riche en hydrocarbures, minerais et marchés émergents, s’est progressivement inscrite comme un terrain de confrontation indirecte entre grandes puissances globales. Dans ce contexte, le Nigeria figure en tête de liste : plus grand producteur de pétrole du continent, membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et fournisseur régulier de brut vers les marchés occidentaux, il représente un intérêt stratégique clair pour toute puissance qui entend sécuriser des chaînes d’approvisionnement et limiter l’emprise de concurrents comme la Chine. (Reuters)
L’administration Trump, qui avait déjà inscrit le Nigeria sur une liste de « pays de préoccupation particulière » en raison de violences intercommunautaires quelques semaines auparavant, a brandi la réponse militaire comme un outil de pression et de mise en scène politique interne — un discours de défense des chrétiens devenu marqueur idéologique auprès d’une partie de son électorat qui voit l’Amérique comme un « champion du monde libre ». (Reuters)
Pourtant, des analystes et des responsables nigérians rappellent que Boko Haram, l’État islamique de la province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP) et d’autres groupes armés ne distinguent pas leurs cibles selon la religion, et tuent autant de musulmans que de chrétiens. Cette réalité complexifie l’argumentaire officiel et souligne une fracture entre communication politique et dynamique sécuritaire réelle sur le terrain. (Responsible Statecraft)
Au plan opérationnel, les frappes, qui ont impliqué des drones MQ-9 Reaper et des missiles de précision type Tomahawk lancés depuis des plateformes navales dans le golfe de Guinée, ont visé deux camps dans la forêt de Bauni, au Sokoto State. Le gouvernement nigérian a pour sa part affirmé qu’il s’agissait de combattants infiltrés depuis le Sahel et liés à des cellules islamistes transnationales. (Reuters)
Mais si l’on élargit le cadre d’analyse, cette action s’inscrit dans une stratégie de présence américaine qui dépasse le seul contreterrorisme. En recentrant l’attention sur le contrôle des zones riches en ressources critiques, Washington rejoint une logique que l’on avait déjà vue sous d’autres formes dans l’histoire récente — une politique étrangère où la sécurité, les ressources et l’influence géopolitique s’entrelacent. Ce n’est pas sans rappeler certaines lignes de la realpolitik de l’ère Nixon, où l’accès aux matières premières et les alliances stratégiques dictaient en grande partie les orientations de l’action américaine dans le monde.
Le fait que l’administration Trump ait d’abord focalisé son discours sur la persécution des chrétiens, un argument puissant sur le plan rhétorique interne, peut ainsi être vu comme une couche narrative superposée à une réalité stratégique plus complexe. Si l’État islamique en Afrique de l’Ouest représente une menace tangible pour la sécurité locale et régionale, il est légitime de se demander si les frappes ne s’inscrivent pas aussi dans une volonté durable de consolider l’influence américaine dans un pays charnière pour l’énergie mondiale.
Cette hypothèse n’est pas simplement spéculative : le renforcement des liens sécuritaires, des ventes d’armements et de la présence militaire indirecte suggère une trajectoire où Washington cherche à garantir que ses intérêts, économiques et stratégiques, ne soient pas marginalisés dans une Afrique de plus en plus convoitée. L’urgence affichée autour des attaques contre chrétiens — même si elle touche une corde sensible chez certains soutiens politiques — sert en réalité de pont discursif vers des objectifs plus larges qui dépassent la lutte contre le terrorisme. (Anadolu Ajansı)
Les perspectives sont multiples : si l’engagement américain devait s’étendre, cela pourrait signifier une présence opérationnelle accrue en Afrique de l’Ouest, transformant une réponse ponctuelle en une stratégie de long terme, redéfinissant les alliances et la répartition des forces dans une région déjà fragilisée par des décennies de conflits et d’ingérences multiples.
À retenir :
La récente opération américaine au Nigeria n’est pas seulement une frappe contre l’État islamique. Elle révèle un mélange d’intérêts politiques, sécuritaires et stratégiques, où la protection des populations locales sert parfois de masque à des ambitions géopolitiques plus larges autour des ressources et de l’influence internationale.
Eric Hightower
Chroniqueur & Analyste géopolitique – FiableActus